Endurer

En attendant l’asile

Dans l’attente d’un titre de séjour, les demandeur·euses d’asile tentent de vivre leur citoyenneté… entre volonté de participer à la vie collective et entraves administratives.

C’est un petit appartement, où les amis entrent sans frapper. Un T4, dans le quartier d’Ar Santé – Les Fontaines, à quelques pas du lycée Félix-Le-Dantec. Sur un vieux canapé, des jeunes parient sur la victoire de Manchester United contre l’Atletico de Madrid, en Ligue des champions. Il est 18 heures. Najib*, hôte des lieux, sert du thé afghan aux lycéen·nes de passage. D’ordinaire, ils ne sont pas autant. Quatre demandeurs d’asile, afghans et maliens de 22 à 24 ans, se partagent l’hébergement mis à disposition par le Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) de la ville. Moussa, lui, est malien et vit ici depuis deux ans : « Quand je suis arrivé, on était deux par chambre. Mais maintenant que d’autres sont partis, c’est moi l’ancien. J’ai ma propre chambre. »

Droit au toit

A Lannion, le Cada dispose d’une trentaine d’hébergements, dont la location est négociée avec des bailleurs sociaux comme privés. Terres d’Armor Habitat est l’un d’eux, avec 12 logements à Pen Ar Ru et Ar Santé – Les Fontaines. Répartis un peu partout dans la ville et pas uniquement dans une structure collective, les hébergements diffus sont un choix du Cada pour favoriser l’autonomie des demandeur·ses d’asile. « C’est un premier apprentissage de leurs droits et devoirs », explique Antoine Briand, travailleur social au Cada. « Dans chaque appartement, on laisse un livret d’accueil avec des pictogrammes, traduit en plusieurs langues, qui leur permet d’être sensibilisé à la gestion d’un logement. »

Le fonctionnement permet aussi d’éviter l’effet « ghetto » stigmatisant des hébergements collectifs, où toustes les demandeur·ses d’asile sont regroupé·es sur un même site. Karifa, Guinéen et ami de Moussa, se souvient avoir été hébergé à l’hôtel pendant deux mois lors de son arrivée en France. « Je me suis senti abandonné. Seul. A passer parfois la journée sans parler à personne. A devoir attendre jusqu’à 12 heures un bus. J’ai fini par péter un câble », raconte le jeune homme de 18 ans qui a finalement demandé à partir, « quitte à se débrouiller seul avec l’administration. » Ici, l’arrêt de bus n’est qu’à une centaine de mètres. Et il suffit de sortir en balade dans le quartier pour croiser quelqu’un·e avec qui converser.

Participer pour exister

Pas le droit de travailler avant six mois, passer son permis, voter… Autant dire que l’obtention des papiers est un enjeu de taille pour tout·e exilé·e qui souhaite refaire sa vie en France. Et les démarches administratives pour y parvenir « sont longues et compliquées », soupire Karifa. « On ne sait jamais à qui s’adresser ». Le jeune homme, qui a obtenu un récépissé le temps de ses études, s’inquiète pour la suite : « Je devais faire une alternance dans une entreprise d’électricité, mais je n’ai pas le permis donc ce n’est pas possible pour l’instant. »

On se sait jamais à qui s’adresser

Karifa, ancien demandeur d’asile

Soumis à des procédures à rallonge qu’iels ne comprennent pas toujours, « les demandeurs d’asile, souvent, ne se sentent pas acteur·rices de leur propre processus » explique Matthieu Tardis, chercheur spécialisé sur les questions d’asile et d’intégration des exilé·es. « C’est pourquoi beaucoup de Cada incitent les demandeur·euses d’asile à devenir bénévoles. Iels n’ont pas le droit de travailler mais sont quand même dans un cadre français de relations sociales. »

Une fois par mois, le Cada emmène ses membres volontaires dans un jardin participatif, géré par l’association Régie de quartiers. « On s’y retrouve pour réfléchir ensemble à ce qu’on va semer, cultiver. Et à la fin, on partage les légumes », confie Marion Lièvre, formatrice en langue française au Cada.

Si Moussa apprécie ces temps passés à l’extérieur avec des jeunes, le rendez-vous de la semaine reste le samedi. « Voleur ! (rires) », peut-on entendre depuis le bord du terrain en herbe d’Ar Santé – Les Fontaines, « y a corner, pas six mètres ! ». A 16 heures, deux équipes de jeunes, du quartier ou d’ailleurs, s’affrontent sur une partie de foot à durée indéterminée. « Fais-le durer encore vingt minutes », crie un joueur à l’arbitre au coup de sifflet final, comme pour prolonger cette parenthèse dans leur quotidien. Passer le temps, en attendant l’asile.

*Le prénom a été modifié