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Les centres sociaux s’activent face à la fracture numérique

Depuis 2020, les centres sociaux Saint-Elivet et l’Horizon, à Lannion, proposent des ateliers et des rendez-vous individuels d’aide au numérique. L’objectif est aussi d’accompagner les habitant·es dans les démarches administratives, qui s’effectuent de plus en plus en ligne.

Dans une pochette bleue, Christelle, 50 ans, range soigneusement ses papiers de la Caf (Caisse d’allocations familiales). Pour la troisième fois, elle vient voir Valérie Rolland, médiatrice au centre social Saint-Elivet, dans le quartier d’Ar Santé – Les Fontaines, à Lannion. L’objectif pour Christelle est de remplir ses documents administratifs afin de percevoir la prime d’activité, puis de les transférer sur internet.

Le centre social Saint-Elivet, comme celui de l’Horizon dans le quartier de Ker-Uhel, aide gratuitement de nombreuses personnes comme Christelle à se servir des outils numériques, et à accéder à leurs droits. Les deux vont d’ailleurs souvent ensemble : « Le numérique devient indispensable, on impose aux gens d’avoir des comptes en ligne pour la moindre démarche », regrette Valérie Rolland, craignant qu’une certaine forme d’exclusion ne se crée. « Le risque, c’est de créer de la discrimination, et que certaines personnes finissent par renoncer à leurs droits », prévient-elle.

Depuis trois ans, Valérie Rolland conseille les habitant·es sur leurs droits, et les aide dans les démarches numériques – Crédit photo : Coline Billaud

Cette dématérialisation croissante est une difficulté au quotidien pour Christelle, qui n’a plus d’ordinateur. « Tout devient compliqué quand on n’est pas informatisée », soupire-t-elle. Pour percevoir sa prime d’activité malgré tout, Christelle a envoyé un courrier à la Caf, sans réponse, et elle s’est rendue sur place, mais les locaux étaient fermés. « Il n’y a plus d’humains. Quand on frappe à une porte, on n’a pas de réponse, c’est décourageant. » Si elle ne s’était pas tournée vers Valérie Rolland, grâce au bouche-à-oreille, elle aurait « laissé tomber », admet-elle.

Palier le manque d’équipements numériques

En plus des rendez-vous individuels, les centre sociaux Saint-Elivet et l’Horizon disposent chacun d’une salle informatique depuis 2020. Elle es accessible en libre service, et onze bénévoles proposent leur aide. Un service d’autant plus important que les habitant·es des deux quartiers prioritaires de Lannion sont sous-équipé·es. « Ils n’ont pas tous les moyens de posséder un ordinateur, ou de payer une connexion internet », explique Joanne Roy, conseillère numérique à Saint-Elivet. Selon l’Observatoire national des politiques de la Ville et l’enquête Capuni réalisée en 2019, 75 % des habitant·es âgé·es de 18 à 59 ans des quartiers prioritaires en France étaient équipé·es d’un ordinateur chez elleux (contre 89 % des Français) et 87 % disposaient d’un smartphone (contre 91 %).

Regrouper autour du numérique

Pour le centre social, il est important d’accueillir tout le monde, insiste Valérie Rolland : « N’importe qui peut avoir besoin d’aide, et ça permet de créer de la mixité sociale : des personnes extérieures au quartier viennent spécialement pur la salle numérique. » Parmi elles, beaucoup de personne âgées. «  Il y en a qui se sentent complètement dépassées par le numérique, qui n’osent pas ou qui ont peur de faire des erreurs. On est là pour les rassurer », explique Joanne Roy. L’accompagnement se fait selon les besoins de la personne, que ce soit à travers un suivi sur le long terme pour revoir les bases, ou seulement quelques rendez-vous pour combler des lacunes. C’est le cas de Sylviane Bellanger, 66 ans, qui s’est rendue au centre Saint-Elivet pour un premier rendez-vous. « Nos enfants nous expliquent tellement vite. Ici, c’est super parce qu’ils prennent le temps pour répondre à nos questions. »

Premier rendez-vous pour Sylviane Bellanger. Elle effectue un bilan d’entrée auprès de Joanne Roy, conseillère numérique, pour faire un point sur ses compétences – Crédit photo : Guillaume Saligot

Et les jeunes ?

Si les personnes âgées restent les plus touchées par la fracture numérique, les centres sociaux accompagnent aussi les jeunes. « On pense qu’ils maîtrisent le numérique, mais dès qu’il y a de l’administratif, comme la Caf, les impôts ou l’assurance maladie, ils peuvent eux aussi être perdus », précise Joanne Roy. Elle aide également les jeunes à accéder à l’emploi, en leur apprenant à naviguer sur le site de Pôle emploi, à faire des CV, des lettres de motivation, etc…

Au delà de l’emploi, l’aide numérique proposée par les centres sociaux a même poussé des habitant.es à prendre des responsabilités dans des projets du quartier. Une satisfaction pour Valérie Rolland : « Les habitants arrivent parfois dépités de ne pas savoir se servir d’un ordinateur, puis ils ressortent avec le sourire, et cela leur donne envie de participer au collectif. »