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Pour les femmes, la “peur de l’espace public bloque la possibilité d’exprimer leur citoyenneté”

Lieux inadaptés et sentiment d’insécurité: certaines femmes ne se trouvent plus légitimes dans les rues de leur quartier. Décryptage avec Dominique Poggi, sociologue spécialiste des questions d’égalité femmes/hommes. 

Les inégalités de genre sont présentes dans les quartiers populaires comme dans tous les espaces publics. Quels sont les effets de ces inégalités sur l’expression de la citoyenneté des femmes ? 

Dominique Poggi: En plus de craindre d’avoir des remarques, insultes ou agressions, l’espace public peut provoquer des inégalités en termes d’activités professionnelles. Certaines femmes ont peur de se déplacer le soir. Elles préfèrent éviter de suivre une formation professionnelle qui se termine en soirée, car elles craignent d’y aller à pied ou par les transports en commun. Mais ce n’est pas que professionnel. C’est le cas aussi pour les activités sportives, culturelles ou citoyennes. De nombreux espaces dans lesquels on peut s’insérer et créer du lien. Cette peur de l’espace public bloque la possibilité d’exprimer sa citoyenneté, en participant à des instances de concertation dans les quartiers populaires par exemple.

Quels sont les aménagements urbains les plus esquivés par les femmes ? 

D. P. : Les plus emblématiques sont les city stade ou city park. Ils sont occupés à 95 voire 100 % par des hommes. Les jeunes filles ne souhaitent pas y aller par peur de se faire refouler notamment. Actuellement, il y a tout de même des actions menées par des associations sportives ou des groupes de femmes qui militent pour l’accès aux jeunes filles à ces lieux. Il ne suffit pas d’aménager un lieu, il faut surtout accompagner et « autoriser à nouveau” les jeunes filles à occuper ces espaces.

Des marches exploratoires ont lieu dans plusieurs villes françaises. En quoi consistent ces marches et comment cela pourrait aider les femmes de Lannion ? 
D. P. : La ville a beaucoup été pensée par et pour des hommes. Ces marches permettent aux femmes de marcher en groupe dans leurs villes, de jour comme de nuit. Mais aussi de donner leur point de vue sur les aménagements urbains et de relever ceux qu’elles jugent anxiogènes. Des lieux évoquant le “non-droit” selon elles. Il est donc essentiel de faire des marches exploratoires dans les quartiers populaires d’une ville avant d’implanter des projets de rénovations urbains.

Mia Pérou et Youenn Gouzerh